De l’autre côté du miroir

Je voulais vous parler de mon ressenti en tant que médecin qui passe du côté des soignés.

Qu’est ce que ça fait d’être patiente avec un point de vue de médecin?

1) Le médecin « malade » et l’hypocondrie

Bien entendu, je ne me considère pas comme vraiment malade, mais plutôt ayant un dysfonctionnement. Mais bon un médecin, c’est forcément en bonne santé non?

Il faut quand même savoir que la plupart des étudiants en médecine passent par une phase d’hypochondrie et d’angoisse quand ils apprennent l’existence de nouvelles maladies toutes plus sympathiques les unes que les autres.
J’ai connu cette période où je me palpais les ganglions à la recherche d’une maladie grave mais rapidement j’ai su surmonter cette peur. Mon corps ne m’avait jamais trahi et je ne suis pas vraiment du genre à m’écouter.

Et puis on m’a diagnostiqué l’endométriose, légère certes, mais quand même là alors que je pensais avoir seulement des symptômes normaux lors de mes règles.
Avec ce diagnostic, j’ai commencé à douter et à craindre un nouveau sale coup de mon corps. Revoilà les angoisses enfouies : Je ne maitrise plus ma bonne santé. Je recommence à observer mes grains de beauté, à m’inquiéter pour des petits signes anodins. Le médecin est un très mauvais malade c’est bien connu.

2) Idiopathie

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Les médecins qualifient d’idiopathiques les maladies ou symptômes dont on ne connaît pas la cause. Ce terme recouvre des maladies bien définies pour lesquelles la science reste impuissante à trouver une origine mais aussi des symptômes inexpliqués par les examens poussés (on ne trouve aucun dysfonctionnement d’organe ou de tissus). C’est dans ces cas là qu’on propose souvent d’explorer la piste psychosomatique.

Il se trouve que de par ma spécialité, je vois beaucoup de patients avec des symptômes inexpliqués. Et après m’être torturé les méninges, je suis parfois souvent en échec et je leur suggère de creuser la piste psy ( ce qui n’est pas toujours bien accepté par les patients).

J’ai eu la joie d’être étiquetée infertilité idiopathique puis fausse couche inexpliquée. Je comprends donc mieux maintenant combien c’est dur de ne pas avoir une explication pour ses problèmes. L’aspect psychosomatique est loin d’être la seule réponse  et est difficilement acceptable quand on est concerné. Je pense qu’il faut juste accepter que la médecine ne peut pas tout expliquer  mais seulement éliminer les maladies ou anomalies qu’elle connait.

3) Rapport soignant-soigné

bande pas dessinéeCe rapport est bien entendu biaisé car la plupart des soignants qui s’occupent de moi sont au courant pour mon métier voire me connaissent personnellement. J’ai donc souvent la chance d’avoir de petites attentions mais j’essaie de ne pas abuser : résultats rapides, RDV décalés pour m’arranger.

Dr Bienveillante, ne me connaissait pas personnellement avant de s’occuper de moi mais j’avais pris rendez-vous avec elle via la messagerie hospitalière et d’emblée elle a su ce que je faisais dans la vie. Toutefois, quand je la consulte c’est sous mon nom de femme mariée qui est différent de mon nom d’exercice (je n’ai pas rapproché les 2 noms car ça aurait été trop long et j’adore avoir une double vie comme un super héros). Donc quand je l’appelle et me présente par mon nom de jeune fille : elle tilte tout de suite. Mais en consultation, ne voyant en premier que mon nom d’épouse, en général elle met du temps à faire le lien ( surtout la première année, depuis 6 mois, j’ai l’impression qu’elle me reconnait enfin physiquement). Je me suis donc bien rendue compte de la sensation d’anonymat que la plupart des patients décrivent. C’est franchement dur quand on doit  raconter pour la 5e fois toute son histoire (parfois douloureuse), alors que tout est écrit dans le dossier et qu’un rapide coup d’œil aurait pu suffire.  Moi je relis toujours mon dernier courrier avant de recevoir un patient pour éviter les gaffes et les oublis. Et je fais encore plus attention depuis que j’ai vécu ça.

Avec les infirmières et sages femmes, qui m’ont reçue, j’ai toujours eu un très bon rapport, elles m’expliquaient toutes les procédures comme si je ne connaissais rien et j’ai trouvé cela super rassurant.

Autre chose, sous prétexte que je suis de la partie, les médecins ont tendance à me parler statistiques, résultats d’études et protocoles, alors que j’aimerais entendre des messages plus personnels du genre : « j’ai une patiente qui a eu la même chose », « j’ai confiance », « ça va bien se passer ». Moi, les statistiques ça ne m’a jamais parlé, d’ailleurs je ne retiens pas bien les chiffres. En revanche, l’expérience personnelle, je trouve cela rassurant. Toutefois, je pense que ça dépend des personnes.

4) L’administration

S’il y a un domaine où on vous fait comprendre que vos bons et loyaux services fournis à l’hôpital pendant de nombreuses années – sans compter ses heures et sous-payés par rapport à l’effort fourni – ne servent à rien, c’est bien dans l’administration hospitalière. Donc à ce sujet, mon avis sera celui d’un patient lambda sans aucun privilège.

Je voudrais un rendez-vous : « appelez le secrétariat » occupé en permanence. Ouverture de 9h à 12h, 14h à 17h mais déjà fermé à 16h30.

Le prochain rendez-vous : « dans 2 mois. »  « Ah d’accord mais on m’a dit de venir à J21, je fais comment pour calculer dans 2 mois? » « Voyez directement avec le médecin au secretariat n°2 » qui lui aussi est toujours occupé.

J’ai besoin d’étiquettes à chaque rendez-vous : faites la queue 45 min avant votre RDV, devant 3 agents en train de papoter et prenant leurs pauses à heure fixe quelque-soit le nombre de patients en salle d’attente. Si par désespoir et par peur de manquer ce rendez vous attendu, tu te pointes devant le bureau de consultation avec ta planche d’étiquette de la semaine dernière (parce qu’il te reste 15 étiquettes après chaque passage), c’est très très mal et tu te fais disputer.

Votre carte vitale n’est pas à jour, vous n’avez pas de médecin traitant : « mais si je vous jure, je viens de l’actualiser et je me suis autodéclarée médecin traitant, il y a 6 mois ». « C’est pas vrai, c’est pas mon problème, payez un supplément tout de suite. »

Et encore, je connais le système, je sais où se trouvent les différents services, j’ai accès à l’annuaire secret de l’hôpital et j’ai le mail perso de mon doc. J’imagine la galère pour les autres.

5) Pudeur

C’est un sujet que je vois revenir régulièrement dans les blogs PMA, cette sensation de perdre toute pudeur. Et j’ai l’impression que c’est difficile et un sujet sensible pour beaucoup de PMettes.

Personnellement, je n’ai pas eu du tout ce sentiment de gène que certaines décrivent. Pourtant, je ne suis pas du tout exhibitionniste ou naturiste, et j’avoue que mon corps me met souvent mal à l’aise. J’aime pas être en maillot sur la plage sans paréo ou en jupe courte ou en vêtements moulants.

Mais quand je suis une patiente, je ne vois que le médecin qui fait son boulot. Même si la zone examinée est intime, cela devient pour moi un organe de mon corps totalement dépourvu de son caractère érotique si je puis dire.

Quand j’examine un patient, jamais je pense « il est  gros…, ses fesses tombent…, je vois ses parties intimes… ».  Je vois un surpoids, des signes cliniques, des organes malades ou sains. J’essaie toutefois d’être le moins intrusif possible, de couvrir les parties nues après l’examen et je demande la permission avant de m’approcher de « zones sensibles » mais cela reste un acte technique sans aucun jugement de valeur.

Parce que j’ai cette expérience du point de vue du médecin sur le corps du patient, je pense que je vis beaucoup mieux que certaines cette intrusion dans mon intimité. Bien entendu, je m’en serais bien passé de ces examens répétés mais j’ai un problème et je suis devenue une patiente.

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Reste l’étape suivante, celle des traitements de PMA. Car pour l’instant à part des vitamines et vasodilatateurs sans grandes conséquences en cas d’oubli, j’ai pas pris grand chose. Quel type de patiente vais je devenir? Celle qui est obsédée par les effets secondaires et qui doute, celle qui oublie des traitements (ça m’étonnerait), la docile qui obéit à son médecin ? La suite au prochain épisode.

 

26 réflexions sur “De l’autre côté du miroir

  1. Je trouve ça vraiment intéressant de connaître le point de vue d’un médecin en tant que patient! C’est là qu’on voit que les médecins nous ressemblent dans la vraie vie. 🙂
    Bises

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  2. Ce billet décrit si bien la sensation ressentie d’être de l’autre côté du bureau. Punaise, moi je trouve ça dur. Et le coup des stats j’en peux plus non plus… On sait jamais sur quel pied danser quand on soigne des soignants (ou apprentis), on cherche probablement une certaine légitimité (enfin pour ma part) et les rapports sont forcément biaisés. Moi tu dois être une super doc toi 😉 ps: nephro? Interniste? Endoc?

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  3. Très intéressant ton point de vue de médecin sur un tel parcours. Je me reconnais un peu dans le sens où je suis infirmière et que je suis aussi passée de « l’autre côté » mais surtout depuis qu’on m’a diagnostiqué une spondylarthrite en faite. Des bisous !

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      • Y’a que le professOR qui « l’a su » et comme je pense qu’il l’a oublié 😉 mais sinon j’en parle pas, surtout que ça fait plus de 2 ans que je ne travaille pas donc pas envie d’expliquer à chaque fois pourquoi. Des bisous

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      • coucou, je rebondis sur ta question et je suis d’accord avec Zelda, je suis également infirmière mais j’ai soigneusement évité de le préciser sinon ton interlocuteur part du principe qu’il n’a pas besoin de te donner autant d’explications et il faut aller à la pêche aux infos. Soignant ou pas , quand il s’agit de tes ovaires ou de ton taux d’oestradiol t’aimes bien récupérer toutes les infos possibles et quand par bonheur la pma aboutit à une grossesse ça continue pendant le suivi du genre  » ah ben vous savez si vous êtes infirmière, pas besoin que je vous explique ce que je vois pendant l’échographie » 😉 « heu ben si quand même tu seras bien aimable!!! » … Bises

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    • J’en ferai d’autres car j’ai pas tout dit. Je pensais notamment aux consultations en présence d’étudiants ou internes: j’ai toujours accepté car je connais la valeur de la formation sur le terrain. Mais dernièrement c’était une étudiante que j’avais eu en stage.

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  4. Coucou miss, merci pour ton article. Venant d’un milieu médical et ayant été confronté très tôt au corps médical, j ai noté de nombreux dysfonctionnements et un grand manque d humanité. C est un peu une obsession chez moi d en parler ;-)). Je suis donc ravie qu un medecin se mette a la place des patients: tu es une super medecin!!!! Gros bisous

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    • Il y a des dysfonctionnements certes, mais on parle souvent que de ça! Il faut aussi parler de ce qui va bien, des soignants plein d’humanité. Il n’y a pas de super médecin, je fais aussi des erreurs, des gaffes et parfois je me fâche avec des patients, je manque d’empathie. C’est une relation à double sens et le patient a aussi un rôle à jouer. Ma seule force c’est que quand je suis en échec dans une relation avec un malade, j’essaie de prendre du recul et de voir où ça a m*rder pour éviter de refaire la même erreur plus tard.

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      • Oui c est une approche remarquable. Dans mon parcours j ai trop souvent été confrontée à des médecins qui ne se remettaient pas en question et qui pensaient détenir la science infuse. Alors qu’un « je ne sais pas » serait plus utile. Pour être plus précise, par exemple, adolescente, je n’avais de règles malgré les médicaments prescrits. On a tout essayé et moralité: pour eux la seule explication était que je ne prenais pas le traitement prescrit!!!! Et pourtant je venais avec mon pere qui est médecin… J aurais prefere un: « nous ne savons pas pourquoi cela ne marche pas, mais continuez le traitement pour votre santé… ». Là j ai été livrée à moi meme jusqu à la rencontre avec super gyneco PMA. En fait c est comme la vie en entreprise: savoir reconnaitre ses limites et qu’on ne sait pas est une très grande qualité. Mais il faut accepter de se remettre en question. Gros bisous

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  5. Super intéressant ton point de vue. Qu’est-ce que j’aimerais être comme toi niveau pudeur !!!! Ça se passerait tellement mieux pour moi… j’en oublierais mes appréhensions je pense.
    Bises

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    • C’est très personnel le ressenti par rapport au corps. Chaque patient réagit différemment. Moi j’essaie de m’adapter en fonction des réactions du patient mais je suis sûre que plein de fois j’ai dû gêner des patients. Parce que parfois je suis moins à l’écoute, que je fais mon travail de manière plus mécanique quand je suis fatiguée ou préoccupée. C’est la réaction d’un patient que je sens mal à l’aise qui le rappelle à l’ordre bien souvent!

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  6. Merci pour ce partage Margouilla. Je trouve très intéressant de découvrir le point de vue de quelqu’un connaissant les deux côtés du miroir.
    Au prochain rdv j’me ferai passer pour un doc. Je rêve qu’on me parle stat et études cliniques. 😀
    Bisous et bon week-end ma belle.

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  7. C’est super intéressant, merci beaucoup. Je peux t’avoir comme doc ? 😉
    Sinon, il y a peut-être des médecins moins « humains  » que d’autres, mais j’imagine que le gros problème reste le manque de temps surtout…
    Bisous

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  8. Merci pour l’article ! Tu consultes où ? Parce que moi, je ferais des kilomètres pour avoir un médecin comme toi ! Et, bien que je ne sois pas médecin, je me suis reconnue au travers de ton témoignage sur l’endométriose. On m’en a diagnostiqué aussi (endométriose légère), et je me suis immédiatement dit que si je sous-estimais tel ou tel symptôme, forcément, je devais avoir aussi un tas d’autres trucs pas encore diagnostiqués. C’est tout juste si je n’ai pas demandé un IRM intégral, et des biopsies dans tous les sens ! Bref, merci pour cet article, et pour ce blog.

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